To kill or not to kill?

Réflexion sur le nouveau cadre règlementaire québécois sur la pêche aux saumons.

La protection des habitats est un élément essentiel de la santé des populations de poissons. Dans le cas des populations de saumons de l’Atlantique, chaque rivière abrite une population typique qui sait retrouver le chemin de sa rivière natale. Bien que la protection des habitats soit un des meilleurs moyens de rétablir des populations menacées, ce n’est pas le chemin que le Québec s’apprête à prendre : tout porte à croire qu’il s’agira plutôt de resserrer la règlementation concernant la capture des saumons. En gros, la remise à l’eau est appelée à se généraliser ce qui est une bonne nouvelle. Cependant, il faut bien comprendre certaines résistances populaires à l’endroit de cette mesure. Avant de revenir sur les changements en cours, permettez-moi une brève histoire de la pêche aux saumons au Québec.

Une pratique venue de l’extérieure :

p._louise_28

La princesse Louise sur la rivière Cascapédia

Les Québécois francophones n’ont jamais été très portés sur la remise à l’eau. Historiquement, la pêche était pour ses populations excentrées (Gaspésie, Côte-Nord) un moyen de subsistance. Les premiers à pêcher le saumon à la mouche dans nos rivières sont les riches Anglais et les Américains. Les populations locales, la plupart du temps francophones ou autochtones, pêchaient aux filets. L’abondance de saumons et d’autres ressources de la mer a permis à ces populations de s’installer dans ces régions qui ne comptaient pas de grands moteurs de développement économique. Le lien entre la pêche et la subsistance nouait une alliance quasi sacrée entre la survie de l’humain et la générosité de son environnement. En effet, les conquérants de l’Amérique se sont vite appliqués à détruire cette alliance afin de réussir à affaiblir l’indépendance qu’elle pouvait donner aux populations vis-à-vis de la société «moderne». La modernisation de nos sociétés devait donc passer par l’effritement de cette possibilité d’autosuffisance.

perce

Ainsi, du début de la colonie jusqu’aux années 1960, la pêche sportive n’apparait pas chez les populations locales trop attachées au travail, mais chez des visiteurs, souvent anglophones et riches qui vont s’approprier les meilleurs endroits de pêche sur nos rivières. Au début du XXe siècle, les droits de pêche sont achetés et organisés en clubs privés. L’accès à ces meilleurs secteurs sur les rivières est donc restreint. La pêche sportive au saumon de l’Atlantique est alors perçue comme une pêche aristocratique, la pêche de «l’étranger». Ce n’est pas pour rien que les pratiques de remise à l’eau qui se mettront à se répandre parmi les pêcheurs de saumons seront perçues de manière suspecte par les populations locales et que le braconnier aura parfois le statut de héros dans ces régions parce qu’il aura réussi à toucher sa part du «gros lot» jusqu’alors réservé aux étrangers.

Le pillage industriel :

La pêche de subsistance va cohabiter avec les clubs privés, mais c’est la mécanisation de la pêche qui va venir créer des tensions et mettre en danger la survie du saumon. Les pêcheurs commerciaux vont transformer le devenir de l’espèce alors qu’ils vont intensifier la pêche non seulement sur les passages migratoires du saumon, mais aussi dans leur «parc d’engraissement» dans les eaux nordiques de l’Atlantique. Entre les années 1964 et 1975, les pêcheurs commerciaux vont faire des prélèvements de saumons qui vont dépasser les 1500 Tonnes/métrique par année, avec une apogée à plus de 2500 t/m3 en 1972.

Les pêcheurs autochtones, déjà mis à mal par l’intégration forcée dans les institutions d’enseignement colonial, vont se battre pour continuer leur pêche de subsistance qui sera bien souvent le dernier point distinctif de leur mode de vie. Le reste des populations vont continuer la pêche et vont conserver le saumon dans le but de s’en nourrir. Tout le monde voudra sa part du gâteau! Le saumon sera mis à mal par les efforts cumulés de tous les pêcheurs, l’abondance d’antan ne sera plus qu’un bien lointain souvenir.

La gestion moderne de la pêche aux saumons :

L’intensification de l’exploitation de la ressource fera inévitablement chuter les populations de saumons. Des changements majeurs au cadre règlementaire visant l’organisation de la pêche et la gestion de la ressource saumon seront mis en place dans les années 1970. La fin de la pêche commerciale dans les rivières et les estuaires et le resserrement des quotas de prélèvements pour la pêche sportive seront les premières mesures de conservation à être mis en place. Ce changement se fera dans le but avoué de rendre les rivières aux Québécois. En effet, le rachat des baux et la fin des clubs privés vont faire entrer la pêche au saumon dans une phase de démocratisation.

Le nouveau cadre règlementaire va permettre d’encourager la gestion rivière par rivière des populations de saumon, ce qui est encore aujourd’hui le mode de gestion le plus solide d’un point de vue biologique. Chaque rivière à saumon aura un gestionnaire qui verra à rendre la pêche possible et à contrôler la règlementation. Certaines populations seront tout simplement trop petites pour supporter le prélèvement. D’autres rivières, au contraire, profiteront de l’abondance relative de leur population pour permettre la capture des grands saumons. Il s’agira là d’un argument de vente important auprès d’une population de pêcheurs habituée à se nourrir de sa pêche. La santé financière de l’organisme de gestion sera liée à la fréquentation des pêcheurs et aux droits d’accès qu’ils pourront exiger d’eux. Il s’agit pourtant d’un pari dangereux. En effet, comment faire en sorte de ne pas mettre en péril le saumon tout en assurant la vente de droit d’accès à des populations encore habituées de conserver ses captures?

gaspésie06_07 057

Aujourd’hui:

La baisse drastique des montaisons en 2014 a servi de fenêtre d’opportunité incroyable pour tenter de convaincre le ministère de faire un pas de plus vers la pêche sportive en remise à l’eau. Les organismes de gestion pour qui la capture de saumons était un argument de vente se trouve devant un défi colossal, assurer une fréquentation pouvant subvenir à leurs besoins financiers, et ce malgré le fait que plusieurs pêcheurs risquent de déserter les rivières soumises au mode de la remise à l’eau. La seule solution de rechange, qu’ont d’ailleurs emprunté les gestionnaires des rivières Matane et Mitis, est de contingenter des secteurs de pêche, à la fois en diminuant l’accès aux meilleurs secteurs par des quotas de pêcheurs, mais aussi par l’augmentation des prix pour les fréquenter. Le danger est bien évidemment de faire de la pêche sportive une activité réservée aux plus riches.

La question de la remise à l’eau a aussi été présentée comme un moyen pour les pêcheurs québécois et canadiens de pouvoir faire de la pression sur les pêcheurs du Groenland qui ont annoncé l’augmentation de leurs quotas de captures en mer. Il s’agirait en définitive d’un argument permettant d’exercer une pression morale sur nos partenaires. La gestion de la pêche rivière par rivière, permet un suivi quasi en temps réel des populations. D’un point de vue biologique, il est possible de prélever des saumons en rivières sans mettre en danger l’espèce, la pêche en mer n’offre pas la possibilité d’avoir un aussi bon suivi. Les gestionnaires peuvent établir par des décomptes le nombre de saumons en rivière et donc savoir si les seuils de conservation auront été atteints. Certains pêcheurs ont l’impression de faire des efforts dans un but strictement politique, puisque d’un point de vue biologique les rivières du Québec sont relativement en santé.

À mon sens, les changements en cours posent des défis importants pour l’avenir de la pêche aux saumons au Québec. La tarification et le contingentement des rivières ont des effets pervers qu’il faut éviter. Le monde de la pêche au saumon s’est toujours organisé autour de groupes privés, la démocratisation des années 1970 reste un vœu pieux si dans les faits on impose des barrières tarifaires qui empêchent l’accès aux rivières. D’un autre coté, l’argumentaire articulé autour de la remise à l’eau «stratégique» ayant pour but de renforcer la position du Canada dans ses négociations internationales dans la gestion du saumon en mer, n’a pas beaucoup de force sur le terrain. La réalité internationale est souvent très loin des préoccupations des pêcheurs qui constatent pourtant la santé relative de leurs rivières. Peut-être que ces mesures sont nécessaires, je l’ignore. Pourtant certains pêcheurs ont l’impression de faire des efforts pour les pêcheurs commerciaux ou les pêcheurs riches ayant accès aux meilleurs secteurs des rivières.

IMG_3597

C’est pourquoi il me semble qu’il faille faire attention aux revendications des pêcheurs locaux sans les voir comme les adversaires de ceux qui pratiquent la remise à l’eau. Leurs aspirations sont légitimes, elles viennent d’un passé qui les a façonné. Malheureusement, il faut aujourd’hui agir en appliquant le principe de précaution. C’est pourquoi je pense qu’il serait sage d’accompagner ces mesures de «restriction» par des mesures plus positives de mise en valeur des habitats. Le Québec et le Canada n’ont fait que très peu d’efforts en ce sens depuis une décennie.  L’exemple des travaux d’une compagnie ferroviaire qui ont mis à mal les frayères d’une des meilleures rivières à saumon au monde en est un parmi tant d’autres.

Reste que selon les données ressentes de la FQSA, le nombre de pêcheurs près à pratiquer la remise à l’eau n’a jamais été aussi élevé. Quelque chose de plus profond est en train de changer. De nombreux jeunes pêcheurs parcourent aujourd’hui les rivières et pratiquent la remise à l’eau intégrale. Portée par des exemples médiatiques très efficaces, pensons à la bande de Hooké , la remise à l’eau entre dans les moeurs des plus jeunes. Les choses changent au Québec, en espérant que cela soit le premier pas vers l’abondance d’antan!

P1000459

Aucun commentaire.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *